• Salauds de pauvres !

    « Dégradation de centres d'accueil, arrêtés anti-mendicité, chasse aux sans-abri dans la rue : les actes contre les démunis se multiplient dans le pays » résumait Le Monde à la une, le 1er novembre et Isabelle Rey-Lefebvre rappelait que le 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère, des incendies d’origine criminelle ravageaient coup sur coup le futur centre d'hébergement qui devait ouvrir début novembre dans le 16e arrondissement de Paris, et le centre du Secours populaire de Montreuil. « On sent un vent mauvais, un effritement des valeurs d'hospitalité et de solidarité », témoignait Florent Gueguen, de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale. « On ne sait pas si les politiques relaient l'opinion publique ou s'ils l'alimentent, mais leurs discours culpabilisent les pauvres, les migrants, les bénéficiaires du RSA ou les sans-abri, tous confondus, et les désignent de plus en plus comme des assistés qui profiteraient du système », ajoutait Claire Hédon, présidente du mouvement ATD Quart Monde. Subventions réduites voire supprimées aux associations d’aide aux plus démunis, mobilier urbain dissuasif, fin du tarif réduit du passe Navigo en Ile-de-France, les mesures se multiplient. L’hebdomadaire Le un est consacré à cette pénible question. « Salauds de pauvres ! » Des parasites ? Des incapables qui ne font pas d’efforts pour s’en sortir ? L’anthropologue Patrick Declerck, qui a arpenté les rues de Paris à la rencontre des clochards et publié son enquête dans la collection Terre Humaine sous le titre Les Naufragés, répond que « survivre dans la rue nécessite une organisation, une obstination, une énergie infiniment supérieure à celle que nous développons vous et moi pour tenir notre vie ». En hiver, ajoute-t-il, « la température du métro est à peu près à 16 °C. On n’a pas besoin d’attendre des températures polaires pour mourir d’hypothermie ». C’est pourquoi « les SDF sont des personnages tragiques : la vie est là et la mort est à quelques heures ». Selon lui, « Le personnage du clochard joue un rôle fondamental dans la cohésion sociale – surtout ne vous révoltez pas même si la vie est très dure, parce que l’alternative c’est ça : la rue. Pour que ce fantasme fonctionne, il faut qu’ils restent visibles. » Mais pour Yves Michaud, la grande pauvreté, c’est aussi ce continent immergé, invisible, des laissées pour compte de la retraite à 400 euros, le plus souvent des femmes, divorcées de la vie, échouées au fond d’une voiture ou d’une roulotte « et qui, résignées, ne demandent plus rien ».

     

    Le philosophe évoque aussi le souvenir des chiffonniers de Bombay triant les ordures dans la cour de son hôtel

    Quatre hommes qui passent « la journée entière à faire, en bavardant, le tri des déchets : les plastiques, le fer-blanc, les papiers et tissus, les déchets organiques. Le soir tout était net. C’était la pauvreté et sa débrouille. » Pour la revue Ethnologie française, Bénédicte Florin a mené l’enquête sur les chiffonniers du Caire, qui « délestent quotidiennement la métropole de 9000 tonnes de déchets sur les 15000 produits et atteignent un taux de recyclage de 80%, exceptionnel dans le monde ». C’est une réforme de la gestion de ces déchets qui les a fait sortir de l’ombre : sous la présidence Moubarak, celle-ci a été confiée à des multinationales européennes, privant 100 000 personnes du travail lié au traitement des ordures et au commerce des produits du recyclage. La grève de la collecte a alors mis en lumière leur rôle essentiel, leur contribution, gratuite et efficace, au service public de ramassage des ordures. Chrétiens en marge des marges, parias de la société égyptienne, les chiffonniers du Caire élèvent des cochons qui ingurgitent 40% du contenu organique des poubelles récupérées. Ils obtiendront gain de cause au terme de leur mobilisation, et leur intégration dans le système de gestion des déchets. L’ethnologue décrit l’organisation sociale de ce petit monde invisible, né de l’exode de paysans coptes fuyant la misère. Et leur regroupement dans le quartier de Manchiat Nasser où se serrent leurs quelques 1000 ateliers de recyclage, leurs enclos à porcs, les étages réservés aux logements.

    L’approche de la pauvreté en termes d’espaces, de quartiers voire de « ghettos » est l’une des caractéristiques de la sociologie américaine

    C’est notamment le cas de William J. Wilson, étudié par Clément Théry et François Bonnet dans la revue Sociologie (PUF). Fondées sur l’idée de distance, d’abord géographique mais aussi sociale et culturelle, entre quartiers pauvres et noirs, et le reste de la société, ses enquêtes montrent que la spirale de la pauvreté est aggravée par l’éloignement de ces quartiers des bassins d’emploi, le chômage y dégradant les conditions de vie. Et la fuite des classes moyennes prive les pauvres de « modèles positifs », les confinant dans des sous-cultures déviantes.

    Par Jacques Munier

     

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