• Une notion floue et polysémique - Populisme, l'Europe en danger


    Populisme, l'Europe en danger par ARTEplus7 

    Alors que le mécontentement enfle face à la crise, les mouvements populistes espèrent triompher lors des élections européennes de mai 2014. Sont-ils réellement en marche vers le pouvoir ? Enquête sur les rouages d'un extrémisme florissant.

    Sur quoi s'appuie l'extrême droite pour gagner de plus en plus de voix dans les élections?


    Réalisation : Antoine Vitkine

    (FRANCE, 2014, 82mn) ARTE F

    Plus d'informations :

    http://www.arte.tv/guide/fr/050481-000/populisme-l-europe-en-danger 

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    Il n'y a pas d'entrée "populisme" dans le Dictionnaire des idées reçues. Et pour cause : le mot date de 1929. Mais nous pouvons y suppléer en mettant bout à bout les deux "définitions" favorites de Gustave Flaubert. "Populisme : on ne sait pas ce que c'est ; tonner contre." Voilà qui résume assez bien la situation. Le mot est partout, sa définition nulle part. Quant à "tonner contre", éditorialistes et politiques s'y emploient quotidiennement.

    La question du populisme a déclenché en France, depuis quelques mois, une avalanche d'analyses et de commentaires. Et sans doute faut-il faire la part de l'instrumentalisation politicienne, voire électoraliste. Mais le mal est plus profond et le malaise palpable. Ce malaise est d'ailleurs double.

    A l'inquiétude suscitée dans une large partie de l'opinion par la "montée" des populismes, de leurs rhétoriques et de leurs thématiques, se superpose la frustration du citoyen sommé d'arbitrer une querelle dont les termes ne sont jamais définis - à commencer par populisme lui-même. Blogs, sites et forums de discussion en témoignent. On y reproche aux politiques d'avoir fait de "populisme" un commode anathème. Mais avec plus d'insistance encore, on réclame des spécialistes, universitaires ou journalistes, qu'ils définissent le mot avant de stigmatiser la chose.

    Définir le populisme n'a jamais été facile. Mais la difficulté s'accroît aujourd'hui de sa proximité. Car le temps n'est plus où le mot évoquait des places écrasées de soleil et des foules exubérantes haranguées par des machos à moustaches. Le populisme pouvait alors passer pour le mal de croissance de jeunes régimes à la constitution fragile. Aujourd'hui, il court la Vieille Europe et les experts s'alarment : ne serait-il pas plutôt la maladie sénile des démocraties ?

    Le comparatisme dans le temps et l'espace garde-t-il sa pertinence ou faut-il admettre que le virus a muté ? Les instruments d'observation et d'analyse naguère tournés vers des phénomènes "exotiques" ou révolus sont-ils opératoires ici et maintenant ? Comment imaginer d'ailleurs que les experts soient les seuls à être immunisés contre un discours, celui du populisme, répandu dans toute la "logosphère", comme l'appelait Roland Barthes ? Le populisme contemporain est chez nous comme chez lui - intellectuels compris.

    De là survient une seconde difficulté. Le mot populisme appartient aujourd'hui au registre politique. Dans ce registre, l'ambivalence est fréquente entre usage analytique et usage axiologique ou normatif. Dans le cas de populisme, cette ambivalence est extrême, puisque le mot renvoie tantôt à une catégorie descriptive de la science politique, tantôt à une imputation polémique dévalorisante, voire insultante.

    Toute définition sera donc ici contentieuse. Le contrôle ou la reformulation des définitions font depuis longtemps partie du combat politique même. Ainsi voit-on, aux premiers mois de la Révolution, royalistes et "patriotes" se bombarder de lexiques aux définitions dévastatrices et la forme dictionnaire chère aux Lumières abandonner toute prétention à l'"exactitude" philosophique pour épouser les querelles les plus partisanes. Il faut en prendre son parti : la "bonne définition" du populisme, réclamée par le public, est un leurre.

    Ce n'est pas à dire qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain et récuser tout usage du terme comme abusif ou manipulateur. C'est suggérer qu'à l'obsession de la définition, il faut préférer le déploiement des significations. C'est faire le pari que populisme désigne un complexe d'idées, d'expériences et de pratiques qu'aucune typologie, si fouillée soit-elle, ne saurait épuiser. C'est reconnaître le populisme comme un objet versatile encore mal identifié et sur lequel il faut braquer plus d'une lunette. Car cet ovni a parcouru d'autres cieux avant d'envahir l'écran radar des politistes.

    C'est un phénomène transversal qui, s'il se manifeste avec plus d'éclat dans le champ politique, divise la culture et la connaissance. Ainsi il importe moins de circonscrire le sens du mot que de redéployer la notion dans la complexité de son histoire.

    Cette complexité est réelle. On ne peut l'imputer aux seules manipulations dont le mot fait l'objet : elle tient à la sédimentation en lui de plusieurs histoires. Les premières selon la chronologie sont russes et américaines. Elles remontent au XIXe siècle, mais irriguent encore le paysage contemporain. Ainsi du paradoxe qui fait que le populisme, dont on ne peut pas dire qu'il soit né à droite, ait toujours été considéré avec suspicion par la gauche.

    Les narodniki de la Russie tsariste, en "allant au peuple", rêvaient de restaurer une communauté perdue. A la même époque, aux Etats-Unis, le populism rural et petit-bourgeois voulut réincarner le peuple fondateur de la démocratie américaine : "We the People". La nation révolutionnaire unanime des uns n'était pas plus réelle que la communauté slave harmonieuse des autres.

    Ces premiers populismes historiques étaient en quête d'un avenir meilleur, mais ils le tiraient d'un passé réinventé. C'est sans doute pourquoi, dès l'origine, les "progressistes" n'ont pas fait bon ménage avec les populistes, même quand ceux-ci se voulaient révolutionnaires (comme les narodniki) ou réformistes (comme les populists). Mais si le mot populisme est chargé d'histoire, il doit aussi beaucoup à la littérature. Son acte de naissance, en 1929, est l'article de Léon Lemonnier paru dans L'Œuvre : "Un manifeste littéraire : le roman populiste". Il n'est nullement indifférent qu'en français le mot ait d'abord désigné une école littéraire, avant d'être transplanté dans le lexique de l'analyse (ou de l'invective) politique.

    Pas indifférent non plus que l'éphémère mouvement lancé par Léon Lemonnier et André Thérive se soit situé dans le sillage du naturalisme, mais d'un naturalisme épuré de ses "excès", ramené à l'humble niveau des vies "médiocres", et débarrassé de toutes "ces doctrines sociales qui tendent à déformer les oeuvres littéraires" (Lemonnier). Ce populisme oublié, romanesque et apolitique, a lui aussi laissé des traces. Pas seulement par son Prix, dont le premier lauréat fut Eugène Dabit pour Hôtel du Nord, avant Jean-Paul Sartre, Henri Troyat, Rachid Boudjedra et bien d'autres.

    Pas seulement par les débats passionnés qu'il suscita et qui contribuèrent à remodeler le paysage littéraire des années 1930 à 1950. Car la question que posaient l'école populiste et, au même moment, Maurice Genevoix et Jean Giono, John Dos Passos et Blaise Cendrars, André Malraux et son ami Louis Guilloux, que se posera encore Camus face à Sartre

      

    Source  

    http://www.lemonde.fr/

     

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