• Les épiceries anti-gaspi, des « magasins de la seconde chance » pour les invendus


    Justine Guitton-Boussion (Reporterre) 
     

    Le réseau « Nous Anti-Gaspi », dans l’ouest de la France, propose à prix cassés les invendus de producteurs et d’industriels. Cependant, quatre ans après l’adoption de la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, les grandes surfaces et les consommateurs ont encore une marge de progression.

    • Saint-Berthevin (Mayenne), reportage

    C’est un chou-fleur a priori normal. Un poids habituel, de jolies fleurs blanches entourées de longues feuilles vertes. Pourtant, ce légume est très différent des autres : c’est un rescapé. Récolté par un agriculteur de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), il était destiné à être détruit. Les grandes surfaces ne voulaient pas de lui, la faute à son apparence un brin particulière. Mais ce chou-fleur a finalement trouvé refuge au sein des rayons d’une « épicerie anti-gaspillage », à Saint-Berthevin (Mayenne).

    Ici, c’est un peu un « magasin de la seconde chance », explique Charles Lottmann, cofondateur du réseau « Nous Anti-Gaspi » auquel appartient la boutique mayennaise. Des centaines de produits invendus, provenant de différents industriels et producteurs, sont proposées aux clients à un prix généralement « 30 % moins cher qu’en grande surface ».

    Les fruits et légumes proposés à l’épicerie de Saint-Berthevin sont soit des invendus de producteurs locaux situés autour de la Mayenne, soit des invendus du marché d’intérêt national de Rungis. « On a des fruits pas beaux mais ce n’est pas le principe d’avoir du beau », dit David Lesguer, directeur adjoint du magasin.

    Dix millions de tonnes de nourriture jetées chaque année

    Tout a commencé en 2016, lorsque l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a publié une étude révélant que 10 millions de tonnes de nourriture étaient jetées chaque année en France. Sur ces 10 millions de pertes, 32 % viendraient des cultivateurs, et 21 % des industriels. « En 2016, j’ai rencontré une centaine de producteurs et de fabricants alimentaires pour comprendre les causes de ce gaspillage et pour réfléchir à des solutions, se souvient Charles Lottmann. Je me suis dit que ce serait intéressant d’avoir des magasins dédiés à ces produits jetés. »

    La première épicerie du réseau Nous Anti-Gaspi a ouvert ses portes en mai 2018 à Melesse, au nord de Rennes (Ille-et-Vilaine). Cinq autres magasins ont peu à peu fleuri depuis, à Châteaugiron (au sud de Rennes), Saint-Jouan-des-Guérets (au sud de Saint-Malo), Cherbourg (Manche), Saint-Berthevin (près de Laval, Mayenne) et Paris. « Nos prochaines ouvertures seront en janvier-février 2020 à Dinan (Côtes-d’Armor) et Gétigné (près de Nantes, Loire-Atlantique) », prévoit Charles Lottmann. Et de préciser : « Ce qui a vraiment guidé notre développement dans le grand Ouest, c’est notre volonté d’aller travailler en circuit court à côté d’un grand nombre de producteurs et de fabricants. »

    Il existe autant de produits que de raisons poussant la grande distribution à refuser une vente : la couleur terne d’un fruit, la forme étrange d’un légume, le calibrage d’un œuf différent des autres, une faute de frappe sur une étiquette… « Aujourd’hui, vous avez des cahiers des charges entre les producteurs et les grandes surfaces qui sont extrêmement stricts sur le plan des propriétés physiques des produits, mais aussi sur leur durée de vie, détaille Charles Lottmann. Quand un produit frais est livré en magasin, il doit par exemple avoir une durée de vie restante d’au moins 20 jours. S’il n’a que 19 jours, il est refusé. » Ces produits « hors normes » peuvent alors être rachetés par Nous Anti-Gaspi et proposés dans l’une des épiceries du réseau.

    « Hier soir, j’avais demandé des yaourts, du fromage, de la charcuterie et aujourd’hui, j’ai eu un peu de tout » 

    À Saint-Berthevin, la boutique possède une surface de vente de 300 m² et ressemble à n’importe quel petit magasin conventionnel : des bacs de fruits et légumes, des frigos de produits frais, des étalages de conserves et d’articles sucrés, un espace de vrac… L’épicerie mayennaise propose également des produits non alimentaires, comme de la lessive ou du gel douche. Il s’agit généralement de produits en fin de série.

     

    Le magasin de Saint-Berthevin a ouvert ses portes à la fin du mois de mai 2019. Près de huit mois plus tard, son chiffre d’affaires augmente progressivement. L’équipe est composée de cinq salariés.

    Devant son ordinateur, David Lesguer, directeur adjoint du magasin mayennais, examine les arrivages de la journée : « Aujourd’hui, on est samedi, c’est particulier, précise-t-il en montrant d’un doigt les lignes sur son écran. On a reçu une seule palette alors qu’en semaine, on a des journées où on peut avoir cinq palettes de frais et d’épicerie. » Dans ce magasin, d’une journée à l’autre, les produits disponibles ne sont jamais les mêmes. Le contenu des rayons dépend de ce que proposent les producteurs et les industriels.

     

    Les épiceries du réseau « Nous Anti-Gaspi » proposent parfois des produits invendus à date limite de consommation (DLC) proche, mais plus lointaine que si les articles étaient des invendus de grande surface. « Les invendus de la grande distribution sont généralement des produits en fin de vie », dit Charles Lottmann, cofondateur du réseau.

    Alors, forcément, inutile de venir en boutique avec une liste de courses prédéfinie : vous ne trouverez pas tout ce que vous cherchez. David Lesguer assure toutefois prendre en compte au maximum les souhaits des clients pour réaliser ses commandes. « On a des acheteurs qui trouvent les invendus chez les fournisseurs, explique-t-il. Ce sont eux qui génèrent un stock et répartissent équitablement les produits sur les six magasins. Nous, on fait des demandes. Hier soir, j’avais demandé des yaourts, du fromage, de la charcuterie et aujourd’hui, j’ai eu un peu de tout. » En tout, les fondateurs de Nous Anti-Gaspi affirment sauver de la poubelle près de 45 tonnes de produits par mois et par magasin, soit 270 tonnes par mois sur l’ensemble du réseau.

    « Je comprends le principe et je joue le jeu »

    Outre la réduction du gaspillage, ces épiceries permettent également aux clients d’avoir accès à une offre alimentaire moins coûteuse qu’en grande surface. Même si cela implique des changements d’habitudes et une organisation différente. « Je viens d’abord ici et je continue ensuite mes courses en grande surface. Je suis à la retraite, j’ai le temps d’aller dans deux magasins différents ! » dit en souriant Anita, une habitante de Laval. Dans son panier : de la viande et des laitages. « Il y a de la nourriture que je ne trouve pas et il n’y a pas une grande diversité de fruits et légumes, admet-elle. Mais je comprends le principe et je joue le jeu. »

     

    À l’épicerie anti-gaspi de Saint-Berthevin, les clients ont en moyenne 30 à 40 ans, d’après David Lesguer, directeur adjoint du magasin. Ils achètent en général des fruits et légumes, des laitages, et passent en caisse avec des paniers à hauteur d’une vingtaine d’euros.

    Stéphanie, une habitante de Saint-Berthevin, remplit un grand caddie. « Quand je viens ici avec une liste, je ne trouve rien, rit-elle. Alors, j’arrive sans idées et je cuisine en fonction de ce que j’ai dans mon panier. Je prends le maximum de choses et si je ne trouve pas quelque chose que je veux vraiment, je vais ailleurs. » Cette quarantenaire ressent une véritable différence dans son porte-monnaie : « J’ai fait la comparaison avec un panier au drive d’une grande surface, confie-t-elle. Sur un panier à 40 euros, j’économise généralement 12 à 15 euros ici. » « Les prix bas permettent aux clients d’essayer des produits qu’ils n’auraient pas testés ailleurs », estime de son côté le directeur adjoint du magasin.

     

    Outre les prix attractifs, Stéphanie, cliente venue de Laval, apprécie la taille humaine du magasin de Saint-Berthevin. « On va beaucoup plus vite, on perd beaucoup moins de temps dans de grands rayons », se réjouit-elle.

    Des épiceries qui vendent leurs produits à prix cassé mais réussissent tout de même à se développer partout dans le Grand Ouest, cela peut sembler miraculeux. Mais pour le cofondateur Charles Lottmann, il n’y a pas de secret : « On achète juste moins cher, explique-t-il. Si un fabricant avait l’habitude de vendre un produit un euro à Carrefour, il va nous le vendre 70 centimes, et si Carrefour avait l’habitude de le vendre deux euros, nous on va le vendre à 1,50 €. »

    « Nous devons veiller à être dans une logique de consommation plus sobre, plus ajustée, pour éviter les dérives »

    Si le modèle de ces magasins permet d’éviter chaque mois près de 270 tonnes de gaspillage, il n’empêche cependant pas les nombreux produits refusés par les grandes surfaces. Ces épiceries pourraient même à terme servir de prétexte aux enseignes, connues pour ne pas changer leurs pratiques. « Je ne nous vois clairement pas comme une excuse de la grande distribution, se défend Charles Lottmann. Je pense que c’est un peu dommage de voir notre projet comme ça et de considérer qu’on n’a pas une bonne action, que c’est mieux de laisser des produits finir à la poubelle. »

    Selon lui, le problème ne vient pas vraiment des cahiers des charges trop stricts entre les grandes surfaces et leurs fournisseurs, mais plutôt du comportement des consommateurs : « Aujourd’hui, quand ils vont dans un magasin, ils veulent voir tous les produits, trouver exactement ce qu’ils recherchent, argumente-t-il. Cette attente des consommateurs pousse les producteurs et les fabricants à toujours produire un peu plus, pour être sûrs qu’il n’y aura pas de rupture dans la chaîne d’approvisionnement et de produits manquants dans les rayons. »

     

     

     

    Outre des produits à date limite de consommation (DLC) proche, le magasin de Saint-Berthevin propose des articles à date de durabilité minimale (DDM) dépassée. Cela signifie qu’ils auront peut-être moins de goût ou de nutriments, mais ils ne sont pas un danger pour la santé.

    Guillaume Garot, député de la Mayenne (groupe socialistes et apparentés) à l’origine de la loi de 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire partage cet avis. « Je considère que ce type de supermarché est un outil de plus contre le gaspillage. Nous, consommateurs, avons une responsabilité. Nous devons veiller à être dans une logique de consommation plus sobre, plus ajustée, pour éviter les dérives. » Le député plaide régulièrement par exemple pour la mise en place d’une éducation, à l’école, à l’alimentation durable. Il souhaite également la création de négociations encadrées tripartites entre le producteur, le transformateur et le distributeur, afin de rééquilibrer les rapports de force qui avantagent généralement les grandes surfaces.

    « Le réseau Nous Anti-Gaspi est un projet qui, s’il réussit, disparaîtra de lui-même faute de raison d’être, avance Charles Lottmann. Malheureusement, je pense que le modèle de production et de consommation de masse est tellement ancré dans notre société qu’il va falloir beaucoup d’années avant que tout change. Nos magasins devraient exister pendant encore pas mal de temps… »

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